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PROTECTION DES DONNEES PERSONNELLES: QUE RETENIR DE 2017?

L’année 2017 a été marquée par une actualité fournie en matière de protection des données personnelles. Nous vous présentons une sélection de ces différents événements marquants, notamment en matière de sécurité des données (1), les décisions à signaler de la Commission européenne et de la CNIL (2) ainsi que les dossiers en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne (3).  

I. Les atteintes à la sécurité des données

 

1/ Ransomwares

 

Les rançon-logiciels, (traduits de l’anglais : ransomwares) ont été au cœur de l’actualité en 2017 et parmi eux : Wannacry, Petya, NotPetya. Ceux-ci ont considérablement affecté les administrations, les hôpitaux [1], les entreprises [2], et les particuliers. Ces virus se sont transformés en véritables outils de prise d’otage numérique. Dernièrement, lors du Forum International de la Cybersécurité qui s’est déroulé à Lille, le 23 et 24 janvier 2018, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a annoncé un plan de lutte contre les cyber-menaces avec la création de 800 postes consacrés à cette priorité : « Que l’on pense par exemple à Wannacry, cette cyberattaque mondiale ayant touché en mai dernier des institutions et des entreprises de 150 pays, parmi lesquels de grands constructeurs automobiles, des opérateurs téléphoniques, mais aussi des hôpitaux. Durant plusieurs heures, des usines ont été paralysées. Le préjudice subi s’évalue en centaines de millions de dollars. »

 

Toutefois, pour l’instant en France, en dépit de l’existence de dispositions pénales avec les articles 323-1 et 323-2 du Code Pénal (atteinte aux systèmes d’informations), les sanctions restent encore très faibles.  La vigilance reste cependant essentielle dans ce domaine, au vu notamment de l’attention portée par la CNIL au niveau de sécurité apporté pour protéger les traitements de données personnelles.

 

2/ Failles de sécurité

 

Equifax est un fournisseur de données financières (notamment pour la solvabilité et les capacités de remboursement des personnes) qui a subi une faille de sécurité très importante au cours de l’année passée au cours de laquelle des pirates informatiques ont eu accès aux informations personnelles de plus de 140 millions d'Américains. Ainsi plusieurs centaines de millions d’américains ont été touchés par ce vol d’identité numérique qui concernait des données telles que le nom, prénom, numéro de carte de crédit, numéro de sécurité sociale...

 

Uber, a aussi annoncé par le biais de son nouveau directeur général, Dara Khosrowshahi dans un communiqué de novembre dernier le vol de données de 57 millions d’utilisateurs.

 

Ces deux affaires ont provoqué des réactions fortes, notamment au vu du manque de clarté et de transparence supposé de ces entreprises, bien au-delà des failles de sécurité.

 

Or il faut souligner dans ce domaine que le nouvel article 33 du RGPD vient opérer un changement en matière de violation de données personnelles. En effet, cette disposition oblige les opérateurs à notifier une violation de données à caractère personnel. « En cas de violation de données à caractère personnel, le responsable du traitement en notifie la violation en question à l'autorité de contrôle compétente conformément à l'article 55, dans les meilleurs délais et, si possible, 72 heures au plus tard après en avoir pris connaissance, à moins que la violation en question ne soit pas susceptible d'engendrer un risque pour les droits et libertés des personnes physiques. Lorsque la notification à l'autorité de contrôle n'a pas lieu dans les 72 heures, elle est accompagnée des motifs du retard ».

 

Cela signifie qu’à partir de mai 2018, les mesures prises par les entreprises, en réaction à une faille de sécurité seront scrutées à la loupe par les autorités de contrôle. Et les éventuelles mesures correctives -prises ou non – seront aussi analysées dans le cas de sanctions.

 

II. Les sanctions prises par la Commission européenne et la CNIL

 

Facebook et Google ont été condamnées par la Commission européenne sur le terrain du droit de la concurrence, droit qui ne paraît aujourd’hui ne plus pouvoir ignorer les enjeux liés aux données personnelles.

 

Le rachat de Whatsapp par Facebook : analyse au regard du droit de la concurrence et de la violation de l’obligation d’information :

 

Ce rachat de Whatsapp par Facebook a donné lieu à deux décisions, la première de la Commission européenne (1), la seconde, de la CNIL (2).

 

1/ La sanction par la Commission européenne du 16 mai 2016 pour fourniture d’informations dénaturées

 

La sanction par la Commission européenne [3] de Facebook repose sur plusieurs aspects.

 

En effet était en cause la possibilité d’interconnexion des utilisateurs de l’application Whatsapp et ceux de Facebook. « La Commission a constaté que, contrairement à ce qu'avait déclaré Facebook en 2014 dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations, la possibilité technique de mettre en correspondance les identités des utilisateurs de Facebook et de WhatsApp existait déjà cette année-là et que les employés de Facebook étaient au courant de cette possibilité ».

 

La Commission a évalué les risques pour la concurrence, au regard du Règlement européen sur le contrôle des concentrations n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004, dans l’hypothèse d’une absence d’interconnexion entre les deux services. Or, la Commission a relevé que « la possibilité technique de mettre en correspondance les identités des utilisateurs de Facebook et de WhatsApp existait déjà cette année-là et que les employés de Facebook étaient au courant de cette possibilité ». Et elle a de fait prononcé cette sanction.

 

Dans le cadre de cette sanction a aussi été évoquée en filigrane les enjeux de la constitution de bases de données personnelles particulièrement importantes et leurs effets sur la concurrence.

 

2/ Sanction de la CNIL à l’égard de Facebook pour manquements à la loi informatique et libertés

 

La formation restreinte de la CNIL a également prononcé, le 27 avril 2016, une sanction de 150.000 €, rendue publique, à l’encontre des sociétés Facebook INC et Facebook Ireland. Cette dernière a été prononcée en raison de nombreux manquements à la loi Informatique et Libertés et notamment sur des points importants concernant le consentement des personnes concernées et la collecte loyale des données personnelles (notamment en raison de l’utilisation du cookie DATR qui recueillaient également des informations sur les personnes non inscrites sur Facebook), le manquement au recueil du consentement des personnes concernées.

 

3/ Google : Sanction de la Commission européenne pour abus de position dominante

 

La Commission a également infligé à Google une amende de 2,42 milliards d’euros le 27 juin dernier pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche et pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix (4). Google aurait ainsi abusé de sa position dominante sur ce marché un conférant à son service de comparaison des prix un avantage illégal.

 

III. En cours: les affaires pendantes devant la Cour de justice de l’Union européenne

 

1/ Le droit à l’oubli :

 

Le droit à l’oubli numérique a été consacré de manière jurisprudentielle par la célèbre décision Google Spain du 13 mai 2014. Toutefois, la possibilité de retirer un contenu sur Internet existait déjà sous la LIL, par le mécanisme des articles 38 (droit d’opposition) et 40 (droit de suppression). Néanmoins, depuis sa consécration jurisprudentielle, de nombreuses questions pratiques persistent et ce droit se heurte à différents intérêts en présence et notamment : droit du public à l’information, liberté d’expression, sécurité juridique.... La Cour de justice, a également rappelé, à l’occasion d’une décision, CJUE, Cammera di Commercio c. M. Manni, du 9 mars 2017, que le droit à l’oubli n’était pas absolu et qu’il devait être mis en balance avec le principe de sécurité juridique des tiers.

 

Le Conseil d’État a, par ailleurs et à deux reprises, posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne qui restent pendantes :

 

  • D’une part, une première question préjudicielle du Conseil d’État du 24 février 2017, dans des affaires jointes n°391000, 393769, 399999, 401258, qui concernaient des données sensibles. Très brièvement, la première concernait un photomontage satirique mettant en scène la directrice du cabinet d’un maire, la deuxième un ancien responsable de l’église de Scientologie, la troisième une mise en examen qui concernait des hommes politiques et enfin la quatrième affaire pour des faits de pédophilie. La question concernait les obligations du moteur de recherche en cas de demande de déréférencement d’un tel contenu.

 

  • D’autre part, une seconde question préjudicielle du Conseil d’État du 19 juillet 2017, sur la portée territoriale des injonctions de déréférencement à l’encontre du moteur de recherche. La question concernait le champ d’application du déférencement au sujet duquel la CNIL a adopté une position claire dans son communiqué du 12 janvier 2017 : un déréférencement mondial. [5].

 

2/ M. Schrems

 

Maximilien Schrems est un étudiant autrichien qui s’est fait connaître par la célèbre affaire qui a mené à l’invalidation du « Safe Habor » concernant le transfert aux USA de certaines données personnelles et à son remplacement par le Privacy Shield. (CJUE, 6 octobre 2015) [6]

 

Courant 2017, ont été posées deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne :

 

  • D’une part, une première question préjudicielle, concernait la qualité de « consommateur » de M. Schrems, individuellement, et ce, lorsque ce dernier est cessionnaire des actions de groupes d’autres consommateurs. Posée le 19 septembre 2016 [7] à la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière a statué le 25 janvier 2018.

 

La position retenue par la CJUE était intéressante à un double égard pour déterminer d’une part, si un «consommateur» perd cette qualité lorsque après avoir utilisé pendant relativement longtemps un compte Facebook privé, « pour faire valoir ses droits, il publie des livres, et donne parfois également des conférences rémunérées, exploite des sites Internet, collecte des dons afin de faire valoir les droits et se fait céder les droits de nombreux consommateurs en contrepartie de l’assurance de leur remettre le montant obtenu, après déduction des frais de justice, au cas où il obtiendrait gain de cause» et d’autre part si ce consommateur peut se prévaloir du tribunal du lieu de son domicile quand il devient cessionnaire des droits des autres consommateurs.

 

Ces questions étaient importantes au regard du droit international privé. En effet, l’article 18 du Règlement Bruxelles I bis pose une exception au principe selon lequel, la juridiction compétente est celle du tribunal du défendeur -afin de faciliter les démarches du consommateur- et permet à ce dernier de saisir le tribunal de son propre domicile. La Cour de justice, dans sa décision du 25 janvier 2018 dernier a indiqué que M. Max Schrems conservait sa qualité de consommateur et que peu importait son activité postérieure, qu’il pouvait ainsi engager une action contre Facebook Ireland en Autriche. En revanche, la CJUE a souligné qu’en tant que cessionnaire des droits des autres consommateurs, M. SCHREMS ne pouvait bénéficier de l’exception issue de l’article 18 du Règlement Bruxelles I bis et saisir le tribunal de son propre domicile aux fins d’une action collective.

 

Cette position est en lien direct avec l’actualité puisque a été adopté par l’Assemblée nationale, le 8 février dernier, un amendement pour une action de groupe collective en matière de données personnelles. [8]

 

  • D’autre part, une seconde question préjudicielle posée par la Haute Cour d’Irlande, [9] à propos d’une autre action Max Schrems concernait les clauses contractuelles types de Facebook.

 

Dans cette affaire, il était question de la validité des clauses contractuelles types de Facebook. Pour rappel, il existe un principe d’interdiction de transferts des données personnelles vers des pays tiers à l’Union européenne [10]. Ces transferts, sont toutefois autorisés, dans certains cas :

  • Le pays bénéficie d’une décision d’adéquation [11]

  • Un transfert fondé sur des garanties appropriées [12]

  • Ou encore, sur le fondement de règles d’entreprises contraignantes [13]

 

Etait ici en cause le mécanisme des clauses contractuelles mises en place par Facebook, qui selon M. Schrems ne garantissaient pas une protection suffisante, notamment en raison des programmes de surveillances américains. En effet, dans la décision rendue le 3 octobre 2017 par la Haute Cour Irlandaise [14], les autorités gouvernementales américaines, auraient, selon Max Schrems, un accès aux données personnelles d’européens du fait du programme PRISM.

 

 

En conclusion, il est notable que les questions relatives aux données personnelles ont occupé une part importante de l’actualité en 2017. Le RGPD, sujet inscrit à l'agenda des entreprises témoigne de la préoccupation grandissante pour ces aspects tandis que la CNIL, par son action de plus en plus visible incite également les personnes à se préoccuper de leurs données personnelles. Cet « empowerment » des individus sur le contrôle de leurs données est désormais consacré à l’article 1 de la LIL du fait des dispositions de la loi pour une République Numérique (« toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant »). Ce principe d’autodétermination informationnelle est ainsi la clef de voûte de la protection des données à caractère personnel avant même de finaliser l'adaptation du RGPD.

 

Dossier majeur de 2017, la protection des données personnelles devrait ainsi connaître une nouvelle actualité nourrie dans les mois à venir. Notre prochain article évoquera les décisions et événements attendus en 2018.

 

 

 

REFERENCES

 

[1] http://www.zdnet.fr/actualites/ransomware-le-nettoyage-se-poursuit-apres-le-chaos-wannacry-39852650.htm

 

[2] http://www.zdnet.fr/actualites/ransomware-petya-un-colis-a-300-millions-de-dollars-pour-maersk-39856172.htm

 

[3] Délibération n°SAN – 2017-006 du 27 avril 2017 - Délibération de la formation restreinte SAN –

2017-006 du 27 Avril 2017 prononçant une sanction pécuniaire à l'encontre des sociétés FACEBOOK INC. et FACEBOOK IRELAND

 

[4] http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-1784_fr.htm

 

[5] https://www.cnil.fr/fr/pour-un-droit-au-dereferencement-mondial

 

[6] CJUE, 6 octobre 2015, C-362/14

 

[7] Affaire C-498/16: Demande de décision préjudicielle présentée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche) le 19 septembre 2016 — Maximilian Schrems/Facebook Ireland Limited

 

[8] L’article 43 ter de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :

1° Le III est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :

« Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au deuxième alinéa, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices matériels et moraux subis, soit de ces deux fins. » ;

2° Le IV est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque l’action tend à la réparation des préjudices subis, elle s’exerce dans le cadre de la procédure individuelle de réparation définie au chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. »

 

[9] The High Court Commercial [2016 No. 4809 P.] Between The Data Protection Commissioner Plaintiff And Facebook Ireland limited and Maximillian Schrems Defendants http://www.courts.ie/Judgments.nsf/09859e7a3f34669680256ef3004a27de/8131a5dde8baf9ff802581b70035c4ff?OpenDocument

 

[10] Article 44 du RGPD

 

[11] Article 45 du RGPD

 

[12] Article 46 du RGPD

 

[13] Article 47 du RGPD

 

[14] He states that there is clear evidence that leads him to believe that his personal data controlled by Facebook and processed by Facebook Inc. is at the very least “made available” to US government authorities under various known and unknown legal provisions and spy programmes such as the “PRISM” programme (which I explain more fully below). He also believes that there is a likelihood that his personal data has, in addition, been accessed under these provisions as he was prevented from boarding a transatlantic flight on the 16th of March, 2012, to the United States for reasons of “national security”. (page 35).

Actualité de la protection des données

De nombreux développement dans l’actualité de la protection des données en Europe et aux Etats-Unis. Une actualité marquée par de nombreux chantiers législatifs alors que la mise en oeuvre de ces législations vis à vis d’un monde numérique en pleine évolution se pose de plus en plus. Privacy Shield

Suite à l’adoption définitive du Privacy Shield le 12 juillet dernier, le secrétaire d’Etat américain au Commerce, Penny Pritzker a mis en place le 1er août le mécanisme d’auto-certification pour les entreprises américaines participant à ce programme. 200 sociétés selon les derniers chiffres disponibles y participeraient d’ores et déjà, dont Microsoft, Salesforce ou encore Google, cet engouement montrant la nécessité d’un cadre juridique sécurisé pour les transferts de données entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

Des réserves demeurent toujours : certaines d’entre elles ont été exprimées par le G29 -qui regroupe les autorités de protection des données européennes- dans son avis du 29 juillet dernier[1]. Ce comité a souligné ses préoccupations quant au manque de garanties précises concernant l’accès des autorités publiques aux données transférées aux Etats-Unis. Le G29 a d’ores et déjà pris date pour la première évaluation annuelle conjointe du Privacy Shield et souligné qu’il se pencherait alors sur l’effectivité ou non des garanties mises en place.

L’adoption du Privacy Shield n’est qu’une étape. Si sa mise en place implique un suivi attentif, sa portée à moyen et long terme reste encore sujette à caution. Rappelons aussi que le Congrès américain s’est inquiété de la remise à cause à terme par la Cour de Justice de l’Union européenne d’accords visant d’autres flux de données transatlantiques (transport aérien par exemple).

Révision de la directive vie privée : le chantier se poursuit

La Commission européenne avait indiqué quels objectifs elle poursuivait avec la révision de la directive privée[2] (assurer la cohérence avec le règlement protection des données, moderniser les dispositions de la directive au vu des innovations technologiques, renforcer la sécurité et la confidentialité des communications en Europe). Elle a organisé une consultation publique qui s’est terminée le 5 juillet dernier, en complément des travaux menés avec les parties prenantes sur le sujet.

Le G29 a rendu le 19 juillet dernier son avis sur ce chantier[3] en soulignant que :

  • Des règles européennes spécifiques pour les communications électroniques devaient être conservées ;

  • Un haut niveau de protection des données personnelles devait être assuré, grâce à la cohérence entre la future directive et le règlement protection des données ;

  • Le champ d’application de la directive devait être précisé, au regard notamment de ses définitions et des catégories de services visées ;

  • La protection de la confidentialité des communications électroniques ou des services fonctionnant de façon équivalente restait un objectif essentiel (à articuler avec les impératifs de conservation des données) : à cet égard le G29 appelait à réécrire l’article 5§3 (confidentialité des communications) ;

  • Les dispositions sur les failles de sécurité devaient être supprimées, afin d’éviter les doublons avec le règlement protection des données.

Cet avis devra être apprécié à la lumière des autres avis publiés et notamment du contrôleur européen à la protection des données[4] qui milite aussi en faveur d’une clarification du cadre juridique au regard de la charte des droits fondamentaux, de l’extension du champ de la directive vie privée et d’une plus grande protection de la confidentialité des communications.

Le règlement protection des données constitue d’ores et déjà une ligne de négociation difficile à contourner par les opérateurs du secteur. Par ailleurs, si la transformation de la directive 95/46 en règlement a rebattu les cartes du principe de son articulation avec la directive vie privée, reste à en décliner les modalités concrètes sur de nombreux points (failles de sécurité, limitations etc.). Ce qui sera particulièrement délicat.

Politique de confidentialité

A noter par ailleurs, les préoccupations exprimées par les régulateurs européens au sujet des nouvelles conditions d’utilisation de Whatsapp et des changements en terme de politique de confidentialité. Le bureau britannique en charge de la protection de la vie privée (ICO) a annoncé avoir ouvert une enquête le 26 août, en l’absence de précision de la part de l’entreprise sur l’étendue du partage de données. La CNIL pour le G29 a aussi noté ses préoccupations.

Ce dossier devra être suivi de près dans les mois qui viennent car il montre que les changements de règles de confidentialité ou de partage des données apparaissent de plus en plus comme des outils à manier avec précaution. A défaut, les conséquences en termes d’image ou de réputation peuvent être pénalisantes.

A suivre : une décision de la Cour d’appel de Manhattan[5] du 14 juillet dernier a estimé que Microsoft n’avait pas à transmettre aux autorités américaines, dans le cadre d’une procédure judiciaire, le contenu des e-mails d’un de ses clients dont les données étaient exclusivement stockées dans des serveurs étrangers, en l’espèce en Irlande. La question posée devrait pousser le Congrès américain à légiférer pour préciser quel niveau de protection doit être apporté en matière de respect de la vie privée, y compris en modernisant des législations estimées par certains observateurs comme obsolètes. Il appartiendra aussi au Congrès de se pencher sur l’application extra-territoriale de ces dispositions, au vu des prises de position de la Cour suprême américaine et des mutations technologiques récentes (cloud computing notamment). Cette décision qui recoupe de très nombreuses problématiques liées à l’économie digitale aux Etats-Unis mais aussi en Europe devrait cependant continuer à faire couler beaucoup d’encre.

 

[1] Déclaration du G29 relative à la décision de la Commission européenne concernant le Privacy Shield en date du 29 juillet 2016 https://www.cnil.fr/fr/declaration-du-g29-relative-la-decision-de-la-commission-europeenne-concernant-le-privacy-shield

[2] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/eprivacy-directive-commission-launches-public-consultation-kick-start-review

[3] Opinion 03/2016 du 19 juillet 2019 on the evaluation and review of the ePrivacy Directive (2002/58/EC)

[4] Opinion 5/2016 – preliminary EDPS Opinion on the revision of the E-Privacy directive https://secure.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/Opinions/2016/16-07-22_Opinion_ePrivacy_EN.pdf

[5] https://www.justsecurity.org/wp-content/uploads/2016/07/Microsoft-Ireland-2d-Cir-Opinion-20160714.pdf

PRIVACY SHIELD ET PROTECTION DES DONNEES: Publication par Jérôme Deroulez d'un article dans le Village de la Justice

Article paru dans le Village de la Justice le 19 février 2016 - ( https://www.village-justice.com/articles/sphere-securite-Safe-Harbour,21514.html )  

Le 6 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé la décision de la Commission européenne du 26 juillet 2000 (dite « Safe Harbour ») qui constatait que les Etats-Unis assuraient un niveau de protection adéquat aux données transférées depuis l’Union européenne, marquant sa préoccupation pour la protection des données personnelles.

Le 2 février dernier, la Commission européenne a annoncé avoir trouvé un accord avec les autorités américaines sur un « bouclier de protection » destiné à remplacer le « Safe Harbour », accord dont le contenu devrait être rendu public dans les prochaines semaines. « Bouclier de papier » selon ses détracteurs, socle plus protecteur des droits fondamentaux pour la Commission. Un état des lieux s’impose.

 

Rappel:

 

La décision «  Safe Harbour » a été attaquée par Maximilian Schrems, ressortissant autrichien et utilisateur de Facebook depuis 2008, qui avait déposé plainte auprès de l’autorité irlandaise de protection des données compétente du fait de l’installation en Irlande des serveurs européens de Facebook. Suite au rejet de cette plainte par l’autorité de contrôle irlandaise, M. Schrems avait introduit un recours devant la Haute cour de justice irlandaise. Celle-ci a sursis à statuer et saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de déterminer si l’autorité de contrôle nationale saisie était absolument liée par la décision d’adéquation de la Commission et, dans le cas contraire, si cette dernière autorité pouvait mener sa propre enquête.

 

Répondant à cette question préjudicielle, la CJUE a jugé que l’existence d’une décision d’adéquation de la Commission n’avait pas pour effet d’empêcher une autorité nationale de contrôle d’enquêter sur une plainte alléguant qu’un pays tiers n’assurait pas un niveau de protection adéquat et le cas échant de suspendre le transfert des données. Elle a également invalidé la décision « Safe Harbour ».

 

PROTECTION DES DONNEES ET PRIVACY SHIELD

 

Cet arrêt revêt une portée fondamentale en ce qui concerne le droit de la protection des données en Europe, à la suite de l’arrêt Digital Right Ireland C-293/12 du 8 avril 2014, la CJUE rappelant au législateur européen la nécessité de prévoir des garanties effectives et concrètes, quitte à remettre en cause l’équilibre législatif et règlementaire européen actuel. Il emporte aussi de nombreuses conséquences.

 

Un arrêt et des réactions en chaîne

 

Suite aux délais fixés par le groupe de travail article 29 (dit G29) regroupant les autorités de contrôle en matière de protection des données, la Commission européenne s’était engagée à négocier un nouveau texte avant la fin du mois de janvier pour mettre un terme à la situation d’insécurité juridique ouverte par l’invalidation du Safe Harbour.

 

Le 2 février, la Commission a annoncé avoir trouvé un accord avec les Etats-Unis sur la base d’un nouveau « bouclier de protection » (« privacy shield »), sensé remplacer et améliorer le Safe Harbor sans donner le sentiment d’un Safe Harbor bis, un tel outil risquant d’emblée de faire l’objet de vives contestations par le Parlement européen et notamment sa commission des libertés civiles (LIBE).

 

Ce projet (« privacy shield ») n’a pas encore été rendu public. La Commission a publié un communiqué de presse évoquant ses grandes lignes, laissant cependant la porte ouverte à toutes les conjectures en dépit des termes rassurants qu’elle a utilisés :

  • obligations plus fortes mises à la charge des entreprises américaines exploitant les données de citoyens européens et renforcement des contrôles exercés par le département du commerce américain grâce à une coopération accrue avec les autorités de contrôle européennes ;

  • nouveaux mécanismes de contrôle des accès des autorités publiques américaines aux données concernées, monitoring régulier et suivi annuel conjoint de l’accord ;

  • mise en œuvre de plusieurs types de recours effectifs, sans précision, et notamment de modes alternatifs gratuits. Un nouveau médiateur doit aussi être désigné s’agissant d’accès possibles par les autorités nationales en matière de renseignement.

 

A la suite de ces déclarations, le collège des commissaires s’est engagé à présenter un projet de décision d’adéquation, après avis du G29 et consultation du comité des représentants du Conseil (comité article 31), conformément à la procédure prévue par les articles 25 et 31 de la directive 95/46/CE.

 

PROTECTION DES DONNEES ET TRANSFERTS DE DONNEES HORS UE

 

De son côté, lors de sa réunion des 2 et 3 février 2016, le G29 a rappelé sa très grande vigilance sur les conditions dans lesquelles des données pouvaient être transférées de l’Union européenne vers les Etats-Unis. Il a aussi souligné de façon liminaire, faute de texte à ce stade, que quatre exigences devraient être remplies :

  • traitement fondé sur des règles claires, précises et accessibles ;

  • application des principes de nécessité et de proportionnalité en lien avec les objectifs légitimes poursuivis ;

  • existence d’un mécanisme de contrôle indépendant d’une part et ;

  • voies de recours concrètes et effectives ouvertes aux personnes physiques d’autre part.

 

Le G29 a souligné ses préoccupations comme ses doutes au vu du cadre américain en vigueur.

 

Il a enfin marqué la nécessité de disposer avant fin février du contenu de l’accord pour un examen détaillé, se plaçant ainsi en position d’arbitre, avant des discussions décisives. 
Le Parlement européen (et notamment la commission LIBE) n’est associé qu’à la marge à cette procédure (dans le cadre du contrôle de l’exercice des compétences d’exécution de la Commission), ce qui ne l’empêchera pas de rester impliqué politiquement et de veiller aux équilibres du futur accord.

 

En tout état de cause, l’accord sur le futur « bouclier de protection » est lié à un compromis sur la mise en œuvre de voies de recours effectives.

 

RECOURS ET PROTECTION DES DONNEES

 

L’existence de voies de recours effectives, clé de voute d’un accord sur le futur « Privacy Shield » ?

 

Il faut souligner tout d’abord que la CJUE avait rappelé dans son arrêt du 6 octobre 2015 qu’une règlementation ne prévoyant « aucune possibilité pour le justiciable d’exercer des voies de droit afin d’avoir accès à des données à caractère personnel le concernant […] ne respecte pas le contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective tel que consacré à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux », marquant l’importance de ce droit (§95).

 

De plus, la question des voies de recours constitue depuis une dizaine d’années l’un des points d’achoppement marquant des négociations transatlantiques en matière de protection des données, notamment dans le cadre du transfert des données PNR ou de l’accord TFTP. Si des compromis le plus souvent provisoires et assortis de clauses de rendez-vous ont pu être apportés, la jurisprudence de la CJUE fixe dorénavant des perspectives beaucoup plus exigeantes.

 

Il convient aussi de rappeler que l’existence de voies de recours a par ailleurs été insérée dans le futur règlement protection des données, comme une des conditions devant être prise en compte « notamment » par la Commission pour évaluer le caractère adéquat du niveau de protection (article 41 §2 a). Cette condition est un marqueur clair (avec d’autres) des discussions à venir.

 

La négociation du futur accord « parapluie » UE-USA présenté comme un socle de garanties et de droits au regard des transferts de données consentis par l’Union européenne en matière répressive est l’un des terrains où se discute le plus âprement cette question : en effet, cet accord finalisé le 8 septembre 2015 doit encore être formellement conclu et approuvé par le Parlement européen, en vertu des dispositions de l’article 218 du traité TFUE.

 

Pour convaincre le Parlement, la Commission avait souligné l’extension envisagée des dispositions du Privacy Act américain de 1974 aux citoyens européens à travers un « Judicial Redress Act » qui devrait être adopté avant la conclusion de l’accord « parapluie » : le texte a été voté par le Congrès le 11 février dernier, dans l’attente de sa signature à priori rapide par Barack Obama.

 

Si la portée juridique de ce texte reste à apprécier concrètement, sa portée politique et symbolique va largement au-delà de l’accord « parapluie » et témoigne que la mise en place de voies de recours effectives constitue un enjeu clé des négociations dans le domaine de la protection des données.

 

Le Parlement européen reste à convaincre, l’avis négatif de son service juridique du 14 janvier 2016 sur le projet d’accord « parapluie » UE-USA fondé sur l’absence de véritable voie de recours en témoigne.

 

QUEL PRIVACY SHIELD AU VU DU NOUVEAU CADRE EUROPEEN DE PROTECTION DES DONNEES?

 

Les futurs débats au sein du Conseil et du Parlement en vue de la conclusion de cet accord auront dès lors par effet de capillarité des connexions directes avec les discussions à venir sur le « Privacy Shield », et ce en dépit de leurs différences de nature juridique et de modalités d’adoption.

 

Les discussions entre l’Union européenne et les Etats-Unis dans ce domaine doivent-elles se concentrer sur ce point unique ? Certainement pas. Un document de travail du Parlement européen ébauche une comparaison des législations européennes et américaines en matière de protection des données et relève qu’au-delà de la question d’un recours effectif, de nombreuses autres garanties doivent également être apportées (supervision indépendante, principe de minimisation, surveillance et notification des failles de sécurité etc…), ces critères se rapprochant de ceux édictés par le G29 dans l’attente de la publication du texte du « Privacy Shield ».

// Aseptio